Lo sceicco bianco

Le Cheik blanc | Federico Fellini | 1952

En 1951, l’Italie produit plus d’une centaine de films et la fréquentation annuelle atteint des sommets en enregistrant plus de 700 millions de tickets vendus. Le néo-réalisme a façonné le rapport du cinéma à la réalité et le terrain est propice pour décliner un genre populaire nouveau, la comédie de moeurs. Dans ce contexte, le producteur Luigi Rovere confie à Federico Fellini les commandes du Cheik blanc. Michelangelo Antonioni avait signé le premier script après avoir réalisé Mensonge amoureux (L’amorosa menzogna, 1949), un court-métrage documentaire sur le phénomène du roman-photo, mais il dut renoncer finalement au projet pour cause de maladie.


Le Cheik blanc est le premier film de Fellini – Les Feux du music-hall (Luci del varietà, 1950) était une coréalisation avec Alberto Lattuada, mais il offre déjà un vaste condensé de l’œuvre du romagnol. D’abord parce qu’il réunit certains des plus fidèles collaborateurs du cinéaste : le scénariste Tullio Pinelli, le compositeur Nino Rota et Giuletta Masina, ici dans son futur rôle des Nuits de Cabiria (Le notti di Cabiria, 1957). Ensuite parce qu’il révèle la virtuosité du réalisateur quand il s’agit de dépeindre l’intrusion de l’imaginaire dans la réalité. Le va-et-vient incessant entre représentation sévère mais réaliste de la société italienne et intuition onirique caractérise un langage fellinien déjà bien perceptible dans Le Cheik blanc. Et puis il y a la connexion avec Rome, présente dès la toute première image de son premier film. La ville comme toile de fond donc, déployée ici avec le crédo de Fellini tel qu’il sera prononcé par Gore Vidal dans Fellini Roma : « Rome est la ville des illusions ». Et ce premier plan depuis un train arrivant en gare de Termini qui devient aussitôt une signature, annonçant d’ailleurs un autre grand thème fellinien : le provincialisme.

Wanda (Brunella Bovo) et Ivan (Leopoldo Trieste) débarquent à Rome pour leur voyage de noces. Celui-ci a minutieusement préparé un programme incluant visites touristiques en compagnie de sa famille et audience papale. Mais la seule obsession de Wanda est de se rendre au siège de la rédaction de sa revue préférée pour approcher Fernando Rivoli (Alberto Sordi) qui incarne le Cheik blanc. À leur arrivée à l’hôtel, Wanda profite de l’assoupissement de son mari pour filer à la rencontre de son héros…

La rencontre avec le cheik blanc (Alberto Sordi), sur une balançoire improbable

La rencontre avec le cheik blanc (Alberto Sordi), sur une balançoire improbable

Le voyage dans la capitale constitue pour Ivan et Wanda une occasion de réaliser leurs fantasmes respectifs. Lui mise sur cette visite à Rome pour valider les étapes correspondant à son idéal petit-bourgeois et faire bonne figure (« la bella figura ») auprès de son oncle qui peut le pistonner (la fameuse « raccomandazione ») pour un poste de fonctionnaire à la Mairie de Rome. Son inhibition et sa mesquinerie lui donnent la dimension monstrueuse – dans le sens risien, scolien voire germien du terme – qui nourrit le caractère satyrique du film. Wanda, qui vit par procuration, symbolise l’aliénation collective provoquée par le boom du « fotoromanzo ». Elle fugue pour mettre en application son dogme : « la vraie vie est dans les rêves ». Mais en se rapprochant trop près de ses idoles, l’oie blanche se brule les ailes. Le Cheik blanc abuse de l’ascendant qu’il a sûr elle en lui faisant des avances. Pendant ce temps, Ivan, dont on ignore si le chagrin est causé par la disparition de sa femme ou par l’occasion perdue de faire bonne impression auprès de ses parents, prend conscience de la situation alors qu’il assiste à la représentation de Don Giovanni – le thème de l’opéra est l’infidélité. Le film monte en crescendo jusqu’à ce que les illusions respectives se dissipent totalement. La naïveté laisse alors place à la folie. Mais une illusion plus grande encore ramène alors le couple à terre : le mariage.

Avant

Avant

Après

Après

Cette impertinence fut reprochée à Fellini lors de la présentation du film à la Mostra. Un journaliste déclara même qu’il s’agissait du « premier film anarchiste en Italie ». Mais le film fut très vite revalorisé. Orson Welles par exemple, qui vouait une admiration sans borne pour le maestro, considérait Le Cheik blanc comme le meilleur film de Fellini. Il est en tout cas un formidable point de départ pour un genre qui fera école en Italie. Un genre d’ailleurs exhumé cette année avec le merveilleux Reality et dont la filiation avec Le Cheik blanc est évidente.

Reality

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