La nave dolce

La nave dolce | Daniele Vicari | 2012

On a vu récemment en Italie des documentaires remarquables sur les grandes controverses : tremblement de terre à L’Aquila, pollution des usines pétrochimiques de Marghera, traitement des déchets à Naples, affrontements raciaux à Rosarno, scandales politiques impliquant Andreotti ou Berlusconi, etc. Des démarches qui sont autant de remèdes contre l’amnésie chronique et le manque de compréhension et d’information. Parmi ces auteurs du nouveau cinéma italien qui engagent une réflexion sur les tragédies collectives, il faut citer Daniele Vicari.

Après avoir raconté dans Diaz les événements dramatiques survenus lors du G8 à Gênes, Daniele Vicari aborde dans La nave dolce le débarquement impromptu de 20.000 albanais sur les côtes italiennes durant l’été 1991. Le dispositif est extrêmement simple puisqu’il consiste à revivre les événements à travers les images d’archives montées chronologiquement et alternées de témoignages. La richesse et la qualité des images tournées à l’époque offrent à Vicari la possibilité de réaliser un documentaire bien construit, prenant presque la forme d’un thriller.

Tous les passagers à bord du navire avaient embarqué spontanément. Certains étaient même en maillot de bain parce qu’ils se trouvaient à la plage lorsqu’ils ont su que le Vlora, un transporteur chargé de sucre en provenance de Cuba, s’apprêtait à quitter le port de Durrës pour les côtes italiennes. Tous étaient jeunes et convaincus que l’Italie était la seule voie pour vivre libre. Mais après une traversée dans des conditions inhumaines, un autre enfer attend les Albanais. Les pouvoirs publics italiens ne sont pas préparés à gérer l’arrivée massive de 20.000 immigrés (c’est le premier grand débarquement de clandestins). Quand le bateau arrive à proximité du port de Bari, c’est l’apocalypse : hommes et femmes dénudés et affamés se jettent désespérément à la mer, parcourant les derniers mètres à la nage. Tout le monde est finalement débarqué pour être emmené au stade. Comme dans Diaz, Vicari dénonce l’incompétence dans la gestion de la crise. L’enceinte qui sert de camp devient insalubre, et si des vivres sont jetés par voie aérienne, ce sont surtout les coups de matraque des policiers qui pleuvent sur les réfugiés.

Car très vite, c’est le Président de la République en personne, Francesco Cossiga, qui prend la situation en main. Durant une conférence de presse ahurissante, il réprouve le maire de Bari – pourtant également de la Démocratie chrétienne – en le traitant « d’irresponsable », parce que celui-ci a cherché à faire preuve de solidarité. Il est alors décidé d’organiser dans l’urgence le rapatriement des 20.000 Albanais. En réalité, 3.000 personnes environ parviendront à s’échapper, souvent grâce à la complicité des baresi. Les témoins interviewés sont de ceux qui sont restés en Italie. Ils racontent avec émotion comment ils sont parvenus à changer leur vie sur un coup du destin.

Récompensé par le prix Pasinetti alors qu’il était présenté hors-concours à la dernière Mostra de Venise, La nave dolce sort cette semaine dans les salles italiennes, sur une combinaison ambitieuse (35 copies). L’occasion de mesurer sur grand écran l’ampleur d’un désordre imparable.